vendredi 3 janvier 2014

C'est quoi une équipe qui gagne ?

C'est la trêve dans tous les grands championnats et l'on peut donc se poser légitimement la question avec un certain recul : qu'est-ce qui fait une grande équipe ? Nous abordons évidemment le sujet sur un plan statistique et tactique sans aborder la valeur individuelle des joueurs ou des facteurs psychologisants.

Tout d'abord, aucun dispositif tactique ne semble l'emporter, malgré la mode toujours vivace du 4-3-3 : 3 des leaders des grands championnats utilisent ce dispositif (le Barça, naturellement, le PSG et le Bayern). On trouve aussi un 4-2-3-1 (Arsenal) et un 3-5-2 (Juve). Si l'on descend un peu plus bas dans les classements en s'arrêtant à la cinquième place qui correspond peu ou prou aux places européennes, on trouve son lot de 4-2-3-1 (City, Athletic Bilbao, Real Sociedad, Napoli) , de 4-4-2 à plat (Atletico Madrid, Mönchengladbach) et même de 4-4-2 losange (Lille) et d'un autre 3-5-2 (Inter). Il nous faut donc chercher ailleurs.

La possession est le premier critère qui vient à l'esprit et là, de fait, comme l'indique le tableau ci-dessous, la plupart des équipes qui sont placées dans les 5 premiers possèdent un % de possession (souvent largement) supérieur à 50%. Certes, on nous rabâche les oreilles avec des considérations du style "la possession, ça ne veut rien dire" mais les équipes espagnoles nous ont appris que le fait de posséder le ballon était non seulement le meilleur moyen de se créer des occasions mais aussi d'empêcher les autres de marquer. Notons que c'est également le cas d'équipes réputées peu spectaculaires (Lille, Chelsea) qui tiennent plutôt bien le ballon ou de certaines équipes dites "de contre" (Dortmund).

Championnat Taux de possession moyen des 5 premiers
France 54,7
Angleterre 55,8
Italie 56,7
Espagne 55,8
Allemagne 56,3

Parmi les 25 équipes occupant les 5 premières places des 5 grands championnats, seulement 3 d'entre elles possèdent un taux de possession inférieur à 50% (Saint-Etienne, Atletico et Leverkusen). Cette règle marche aussi à l'envers : les équipes possédant la plus faible possession occupent en général les places de relégable.

Pour satisfaire toutefois les défenseurs des idées reçues, on peut tout de même trouver des équipes à la possession totalement stérile : Swansea (59,6% et 13ème de premier league), le Milan AC (59,9% et 13ème de série A) et, surtout, le Rayo Vallecano (61,8% et 19ème de Liga !).

Ce qui est intéressant c'est la relative stabilité de certaines statistiques : il faut par exemple 3,8% de possession pour effectuer un tir. Et 7 tirs pour marquer un but. Ce sont les équipes qui parviennent à dépasser ces statistiques qui font voler en éclat les corrélations. Et c'est naturellement là que l'on retrouve nos "point aberrants". Le cas le plus archétypal est celui de Swansea. L'équipe galloise malgré sa possession est 20ème en termes de nombre de tirs. Stérile. On a donc ici un jeu à la baballe, lent, souvent dans son camp avec peu de percussion, ni de contres.

Mais les cas les plus intéressants ne sont évidemment pas ceux qui échouent mais ceux qui réussissent. Reprenons donc le cas du Bayer Leverkusen et de l'Atletico, second de leur championnat respectif à la trêve.

Il existe a priori 3 raisons pour lesquelles ces équipes peuvent malgré tout tenir tête aux cadors de la possession :
  • soit leur système défensif (gardien compris) est particulièrement imperméable et annihile les efforts des adversaires,
  • soit leurs joueurs sont particulièrement efficaces pendant les phases de possession et parviennent à en tirer un rendement supérieur,
  • soit, et ce facteur est une combinatoire des 2 autres, l'abandon du ballon est un choix tactique assumé (qui ne tient pas aux qualités techniques intrinsèques des joueurs), qui peut être systématique ou correspondre à certaines situations (dès que l'équipe a pris l'avantage ou à l'extérieur). 
Depuis 2 saisons, Diego Simeone a transformé la bande de losers du Vicente Calderon en machine de guerre. Cette saison, les colchoneros tiennent la dragée haute au Barça. La défense de l'Atletico est particulièrement impressionnante : meilleure de Liga, elle est surtout très efficace pour empêcher les autres d'élaborer leur jeu offensif. En dépit d'une possession faible, donc, l'Atletico concède moins de tirs que le Barça, malgré 20% de moins de possession. Dans le 4-4-2 de Simeone, pas de "secret" mais des recettes efficaces :
  • le même système éprouvé depuis 2 saisons, avec des joueurs qui se connaissent et peuvent donc se situer sur le terrain, compenser et combiner,
  • 2 lignes de 4 pas particulièrement hautes mais assez proches pour étouffer l'adversaire, avec un travail défensif, qui commence au niveau des 2 attaquants pour perturber la relance,
  • des joueurs du milieu qui sans être très rapides possèdent tous un bagage technique impressionnant.
  • le "secret" : des "ailiers" (Koké, Turan) qui se recentrent lors des phases offensives et des latéraux assez prudents. Lors des pertes de balle, les 2 attaquants et l'ailier font pression pour récupérer la balle, n'hésitent pas à faire des fautes (Costa, 2 par match), donnant le temps au bloc équipe de se replier et d'étouffer les adversaires.
Toutefois, une limite semble être la nature du championnat espagnol : assez technique, porté sur l'offensive, l'Atletico a réussi en prenant le contre-pied des équipes joueuses. Il est révélateur de voir que la seule défaite des madrilènes a été subie face à l'Espanyol Barcelone, une équipe rugueuse et défensive.

Le Bayer Leverkusen est calé dans la roue du Bayern et offre aussi une alternative intéressante. A priori, les statistiques du Bayer sont peu impressionnantes :
  • seulement 7ème attaque contre seconde défense,
  • un bloc défensif pas particulièrement hermétique, avec 14 tirs concédés par match, ce qui la met au 9ème rang outre-Rhin,
  • l'équipe ne joue pas non plus particulièrement haut (6ème en Allemagne), témoin d'un pressing modéré et de sa faible possession dans la moitié de terrain adverse.
En fait, l'équipe de Sami Hyypia est une tueuse en contre et surtout, son interprétation du 4-3-3 en fait une équipe très particulière : 
  • à l'exception de l'avant-centre (Kiessling), tout le monde défend, les ailiers apportent de la présence sur les côtés, 
  • en situation offensive (comme pour l'Atletico) les 2 "ailiers" repiquent vers le centre afin d'apporter du soutien à Kiessling, 
  • le N°6, Rolfes, demeure très prudent et ne s'éloigne jamais de ses défenseurs centraux ce qui procure de la stabilité à l'équipe,
  • Enfin, last but nos least, Bernd Leno est le Enyeama allemand, décourageant les attaquants adverses.
Comme l'Atletico, le Bayer masse ses joueurs sur des lignes très proches pour les étouffer. Elle évite ainsi, et c'est là son secret, de concéder des situations dangereuses dans la surface, ou mieux dans ses 6 mètres (plus faible total de Bundesliga). Comme les madrilènes, l'équipe de Sami Hyypia est aussi étonnamment stable et opte pour une option défensive de façon volontaire à rebours du "tout pour l'attaque" qui règne en Bundesliga.

En synthèse, pour être une bonne équipe, soit vous pouvez vous payer le luxe de posséder des joueurs techniques et de chercher à dominer le ballon, soit vous adoptez une stratégie alternative par rapport au championnat qui vous abrite, grâce notamment à une organisation défensive irréprochable et une qualité de contre. Evidemment, cette description est très grossière : Lille, Dortmund ou la Real Sociedad sont très différentes des grosses écuries qui dominent les championnats européens. Pourtant, la mode de la possession a emporté l'Europe et aujourd'hui bien peu peuvent se vanter de réussir sans tenir le ballon. Alors, Diego Simeone et Sami Hyypia, dinosaures ou pionniers d'un retour vers moins de possession et plus de réactivité ? Réponse dans les années à venir.

Footballistico

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